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Un article du Café Pédagogique sur le projet de loi de titularisations

mardi 7 février 2012

Projet de titularisation des précaires : « De la poudre aux yeux » ?

Par Jeanne-Claire Fumet

Le projet de loi sur la titularisation des personnels non-titulaires de la Fonction Publique a été adopté en première lecture par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, le 26 janvier 2012. Quelles conséquences pour les précaires de l’Éducation nationale, dont le nombre augmente à proportion de la pénurie d’enseignants titulaires ? Les acteurs de terrain ne sont pas entièrement convaincus par la forme actuelle du protocole, signée en mars par plusieurs syndicats mais dont certains aspects sont encore à l’étude. Entre l’embauche en CDI, pas vraiment avantageuse, et la perspective d’un concours réservé, plus conforme aux modes de recrutement de la fonction publique, mais qui n’offrirait qu’un nombre de postes limité, les précaires sont loin de voir leur situation sécurisée. L’animateur d’un blog dédié aux non-titulaires, sous le pseudo « John Doe », et Matthieu Brabant, secrétaire national de la CGT-Éduc’action chargé du pôle précaires et professeur de maths-sciences dans un lycée professionnel de La Courneuve (93) évoquent les limites de l’actuel projet.


Les non-titulaires, une utile variable d’ajustement

Titulaire d’une licence de philosophie mais pas du Capes, l’animateur du blog des non-titulaires de l’enseignement (sous le pseudonyme de John Doe) avait déposé une candidature spontanée auprès du Rectorat, il y a quatre ans. Il a eu la surprise d’être embauché très rapidement et reconduit régulièrement dans ses fonctions. Mais pas à n’importe quel prix : vacations mensuelles, d’abord, puis CDD annuels depuis 3 ans, avec un temps partiel variable et ajustable selon les besoins. Impossible de prévoir d’une année sur l’autre la quotité de service, et donc le salaire, qu’on lui attribuera. En classe, tout se passe plutôt bien. Il s’estime apprécié par ses collègues comme par son proviseur, qui préférerait le garder définitivement plutôt que de recevoir un nouveau vacataire débutant. Selon les dispositions de la loi, il entrerait dans le cadre d’un CDI ou de l’accès au concours réservé. Mais le CDI ne garantit ni la stabilité du temps de service, ni celle du poste occupé, et il ne s’applique qu’aux contrats d’au moins 70% d’un temps plein, le sien n’étant que de 66,6%. Il tente régulièrement le concours interne du CAPES, mais l’épreuve de didactique reste un obstacle redoutable, sans formation IUFM ou en sciences de l’éducation. Le concours réservé ? Il craint que la limitation du nombre de postes offerts en fasse une solution très marginale.

Contrats CDI ou titularisation statutaire ?

« Les collègues en CDI restent contractuels et donc non-titulaires », rappelle Matthieu Brabant, secrétaire national de la Cgt Education. « Le CDI n’apporte au fond pas grand chose. Pour les collègues concernés par le protocole de titularisation, seuls 12 400 sont éligibles au dispositif sur les 23 500 contractuels enseignants, CPE et COP et 14 000 contractuels administratifs. Et être éligible ne signifie pas être titularisé, mais simplement en avoir la possibilité ! Le ministre travaille sur un concours réservé pour les catégories A (dont les enseignants, CPE et COP). Mais nous souhaitons un examen professionnel car nous considérons qu’un concours est par nature une volonté de limitation. Le protocole du 31 mars 2011 précise : Les emplois offerts à ces modes de sélection seront ouverts par transformation des emplois et/ ou crédits utilisés pour asseoir la rémunération des agents contractuels concernés de telle sorte que toute personne ayant réussi un des dispositifs de titularisation puisse se voir proposer un poste. L’examen professionnel, sans condition de concours ni de nationalité, est bien dans cette logique, avec la création, le cas échéant, de corps dans la Fonction publique notamment pour les métiers d’aide aux élèves en situation de handicap. »

Une brèche dans le recrutement par concours de la Fonction publique ?

« Dans un système pérenne, précise Matthieu Brabant, nous sommes attachés aux concours, même si en l’état (mais c’est une autre histoire) les modalités de recrutement par concours nous posent problème. La présence de non-titulaires sur des emplois pérennes est une anomalie créée par les gouvernement successifs. Il s’agit donc de proposer un dispositif ponctuel permettant aux contractuels d’entrer dans la Fonction publique, et de stopper l’utilisation de contractuels sur des emplois pérennes. La titularisation des non-titulaires doit être une mesure de justice pour corriger l’injustice qu’est l’utilisation des contractuels sur des emplois pérennes. C’est donc une mesure exceptionnelle qui doit être mise en place. Par ailleurs, les contractuels titularisés via le dispositif gouvernemental seront intégrés comme stagiaire selon les mêmes modalités que les autres stagiaires. »

Un manque de mobilisation pour les personnels précaires ?

John Doe voit défiler les témoignages, sur son blog : « Les gens sont dans des situations tellement difficiles qu’ils n’arrivent pas à penser en termes d’action collective. Sur le blog, on trouve des dizaines de messages de collègues qui exposent leur cas et qui demandent s’ils ont une chance d’obtenir leur titularisation. Les titulaires, de leur côté, ne s’intéressent pas vraiment au problème, même si on se rend compte, en discutant, que beaucoup d’entre eux ont été intégrés par d’autres voies que les concours (la loi Sapin de 2000, par exemple). Depuis un an, j’essaie de lancer un mouvement, mais ça ne prend pas. Certains abandonnent, de guerre lasse, d’autres attendent que la situation évolue en espérant que quelqu’un va se charger de se battre à leur place. Des partis politiques nous ont sollicités, des syndicats aussi, mais il c’est difficile d’avoir des volontaires qui acceptent de se mettre en avant. Il faut croire que la situation n’est pas encore assez grave pour qu’on se mette vraiment en colère. Mais à force de subir des humiliations répétées, comme d’être exclu du Pass-Education, ces jours-ci, par exemple, le vase va finir par déborder. J’ai connu autrefois des manifestations de maà®tres auxiliaires qui mobilisaient du monde et qui obtenaient des résultats ! » Mais John Doe le reconnaà®t, il ne témoignerait pas sans le couvert de l’anonymat. Les procédures de licenciement sont trop aisées pour prendre ce risque : un mauvais rapport du proviseur en fin d’année suffit pour perdre son emploi. L’espoir de titularisation, même marginal, joue son rôle et chacun fait silence pour tenter d’en bénéficier. « Mais il ne faut pas s’y tromper, soupire John Doe, si le dispositif améliore notre situation, on trouvera d’autres moyens de recruter des précaires. Si on n’augmente pas les moyens et qu’on force les Recteurs à avoir de la flexibilité, ces mesures seront toujours de la poudre aux yeux. »

Une situation qui évolue pour les syndicats

Moins pessimiste, Matthieu Brabant souligne que la possibilité donnée aux non-titulaires de s’exprimer lors des deux dernières élections professionnelles oblige les syndicats à prendre en compte leur problème spécifique. « Une présence plus importante des non-titulaires dans les structures des syndicats peut être aussi une solution : au niveau de la CGT, nous avons intégré en deux non-titulaires à la direction nationale, et je suis en charge en tant que secrétaire national de ce dossier. A Créteil, l’organisation très régulière de réunions et l’obtention de choses concrètes, comme une grille indiciaire sur l’académie de Créteil, ce qui n’existe pas ailleurs, permet aux collègues de prendre confiance petit à petit. » La confiance semble bien ce qui manque le plus aux précaires, en effet : « Nous ne comptons pour personne, dit John Doe. Les parlementaires ont refusé de nous rencontrer, ils nous ont renvoyé des mails standards pour nous assurer qu’ils s’occuperaient de nous. Ils ont reçu les syndicats, qui ont parlé pour nous. Mais eux n’ont rien voulu savoir de notre Livre Noir, qui rassemble des dizaines de témoignages. Il y a des conflits d’intérêts qui ne sont pas avoués : un syndicat favorable à la mastérisation ne tient pas à la titularisation d’enseignants dotés d’une simple licence, même en poste depuis longtemps. Nous devrions pourtant être prioritaires ! »

Pour Matthieu Brabant, la question des non-titulaires n’est pas assez présente dans les débats sur l’emploi public. Avec 6% des enseignants, CPE et COP du 2d degré qui sont non-titulaires, il estime que c’est pourtant un « poids important » qui doit être pris en compte. « L’aspect principal serait de réussir à convaincre les titulaires de se mobiliser, leur faire comprendre que se battre pour les non-titulaires, c’est se battre pour le statut de la Fonction publique et donc pour les titulaires. »


Jeanne Claire Fumet


Voir en ligne : Article sur le site du Café Pédagogique