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Master « métiers de l’enseignement du 1er degré » :<P>Après un an de mise à l’épreuve, le constat d’un échec annoncé

jeudi 7 juillet 2011

Les enseignants qui seront recrutés en septembre prochain auront-ils été bien formés ?

Au terme de la première année de mise en œuvre de la réforme de la formation des enseignants dans le cadre de masters, un premier bilan s’impose.

Impliqués à divers titres dans la formation des enseignants dans l’académie de Créteil en tant que formateurs à l’IUFM, conseillers pédagogiques, maà®tres formateurs ou étudiants inscrits en 1re et 2e année du master « métiers de l’enseignement » à l’IUFM de Créteil et acteurs fortement investis dans la lutte contre cette réforme, les auteurs de cette tribune en dénoncent les effets désastreux qu’ils ont pu constater jour après jour depuis la rentrée scolaire.

La situation post-concours a été largement évoquée par les média. L’opinion publique a ainsi pu apprendre que les jeunes enseignants recrutés cette année se sont retrouvés sans véritable formation face aux élèves, que leur souffrance s’est traduite par de nombreuses démissions ou des arrêts maladie, que des milliers d’élèves ont fait les frais de cette politique et que ce sont les enfants qui n’ont pas pu trouver une compensation au sein de leur famille qui en payeront le plus les conséquences.

En revanche, les média ont peu abordé la situation pré-concours c’est-à -dire les problèmes posés par la préparation des futurs enseignants dans le cadre de la réforme dite de masterisation.

Au préalable il faut rappeler que le master ou les parcours « métiers de l’enseignement » proposés depuis septembre par la plupart des universités ne sont pas obligatoires pour devenir enseignant, qu’il s’agisse du premier ou du second degré. Il suffit d’être titulaire de n’importe quel master et de réussir le concours pour se retrouver en charge d’une classe dès la rentrée suivante sans formation professionnelle à la clé.

Pour autant, le cursus consistant à suivre un master étiqueté « Métiers de l’éducation et de l’enseignement » ne prépare pas non plus correctement au métier d’enseignant.
L’argument principal du ministère est de prétendre que cette formation remplace avantageusement la précédente puisque, pour se présenter au concours, il faut désormais justifier d’un master (contre une licence précédemment).

Or, une année après l’entrée en vigueur de la réforme, on s’aperçoit que ce qui était à craindre est advenu : il s’agit d’une vue de l’esprit qui ne résiste pas à l’épreuve du réel. Cette année a montré l’échec de cette prétention à satisfaire des visées inconciliables.

En effet, ces deux années de master doivent concilier des logiques incompatibles : préparer un master (dont la réussite exige d’avoir mené à bien une recherche, obtenu les différentes unités d’enseignement auxquelles s’ajoutent un certificat de langue étrangère de haut niveau, un certificat en informatique, un brevet de natation et un autre de secourisme), préparer un concours et se professionnaliser.

Deux ans avec un triple objectif alors que chacun des objectifs suppose à lui seul un engagement total et exclusif :

Jusqu’à l’an dernier

 les étudiants qui se destinaient à la recherche s’y consacraient deux années à plein temps (c’est encore le cas pour les autres masters)

 Ceux qui préparaient le concours s’adonnaient à sa seule préparation pendant un an minimum

 Ceux qui avaient réussi le concours étaient fonctionnaires stagiaires rétribués et se professionnalisaient dans les IUFM pendant un an (autrefois pendant trois ans puis deux). Le passage par les I.U.F.M. de tous les nouveaux recrutés offrait aussi un cadre national à la formation des enseignants.

Désormais, même si le contenu des masters « métiers de l’enseignement » varie d’une université à l’autre, les deux années de masters sont employées à poursuivre ces trois objectifs à la fois.

Dans l’esprit de leurs concepteurs, les masters comportent trois dimensions qui doivent s’épauler l’une l’autre (la conduite d’une recherche est censée enrichir les futures pratiques professionnelles et nourrir la préparation du concours tout comme les stages en milieu scolaire).

Or, il en est tout autrement

Cette formation ne permet pas une mise en relation progressive et réfléchie des divers apports, mais elle entraine une dispersion des énergies des étudiants comme des formateurs sur trois pôles différents

 un faux master-recherche : dans la mesure o๠les conditions de la recherche (temps, terrain, séminaires, etc.) ne sont pas réunies.

 Une préparation insuffisante à un concours : le volume horaire qui serait nécessaire à une bonne préparation est rogné par les heures consacrées aux stages, aux séminaires de recherche et à toutes les autres composantes du master.

 Une parodie de professionnalisation : les moments o๠les étudiants prennent des classes en responsabilité ne peuvent être qualifiés de stages. Le temps de leur préparation et de suivi est insuffisant, le retour critique n’est pas prévu, la qualité de l’enseignement dispensé par les étudiants n’est pas évalué. Ces moments ne préparent pas au métier d’enseignant et en donnent une approche faussée. Ces périodes permettent d’utiliser les étudiants comme moyens de remplacement pour compléter le service des directeurs partiellement déchargés ou remplacer des titulaires en formation continue.

Dans pareil système, les étudiants n’ont ni la possibilité ni la préoccupation d’améliorer leur enseignement. Ils cherchent juste à valider leur master en se conformant à des exercices formels.
En outre, le traitement accordé aux disciplines enseignées à l’école varie en fonction de leur place (ou leur absence) au concours de recrutement. Seuls les mathématiques et le français présents aux épreuves d’admission bénéficient d’une pseudo préparation à la didactique (les étudiants doivent se préparer à présenter une séance devant un jury … dont les professeurs de la discipline ont été écartés). Pour l’histoire, la géographie, l’instruction civique et morale, les langues vivantes, l’EPS, les sciences expérimentales, la technologie, les pratiques artistiques, l’histoire des arts et les techniques de l’information et de la communication, il n’existe aucun cours préparant sérieusement les futurs professeurs des écoles à leur enseignement.

Nous constatons et dénonçons un émiettement de la formation, une perte d’efficience, de sens et de cohérence.

Les conséquences en sont dramatiques : les étudiants sont écartelés parce qu’ils ne peuvent se donner aucun objectif prioritaire. Ils ont le sentiment de travailler de façon superficielle et en sont insatisfaits ; ils ne parviennent pas à mettre en relation les composantes de leur formation, ils vivent une situation de tension psychique et d’incertitude très angoissante, d’autant qu’on leur demande de se former pour un métier qu’ils n’exerceront peut-être jamais, s’ils n’obtiennent pas le concours ou à défaut comme de simples vacataires ou contractuels dans des conditions précaires. A cela s’ajoute que nombre d’entre eux doivent être salariés afin de financer leurs études.

Nous dénonçons donc une maltraitance produite par ces nouvelles conditions de formation.

Un des effets majeurs de la réforme est donc de sacrifier toute la dimension professionnelle de la formation.
Or, le métier d’enseignant ne peut s’apprendre sur le tas.

Mais il ne peut non plus s’apprendre sérieusement en un an lorsqu’on est engagé dans des études visant à réussir en même temps un examen et un concours.

Les pseudo-masters en alternance annoncés par le ministère de l’Education nationale ne sont pas non plus une solution : ils consistent en réalité en un succédané de formation, un effet d’affichage et un moyen pour le ministère d’avoir des étudiants remplaçants bon marché pour compenser les postes qu’il supprime massivement.

Les débuts de la professionnalisation supposent un temps de formation long et une implication totale ; c’est pourquoi il est impératif de rétablir au plus vite une véritable stagiarisation après le concours, à l’instar de celle qui existe pour les autres corps de la fonction publique (magistrature, police etc.).

Un recrutement des enseignants sur concours au niveau licence suivi d’une formation rémunérée en deux ans avec statut de fonctionnaire stagiaire serait la garantie d’une formation de qualité, accessible aux étudiants issus de milieux modestes. Cette formation en 6 ans (3 années de licence + 1 année de préparation concours + 2 années de master) après le bac pourrait donner lieu à l’attribution d’un master.

On l’aura compris, la réforme de la formation des enseignants n’a pas été motivée par une recherche d’amélioration de l’existant. Il importe de rappeler et de dénoncer les vrais mobiles et les finalités réelles de cette réforme :

 Une finalité économique : l’Etat en supprimant toute décharge de service durant l’année de stage et en affectant directement les lauréats fait des économies considérables en moyens humains puisqu’il dispose d’un volant appréciable de remplaçants, se dispense de créer de nouveaux postes et de rétribuer des formateurs.

 Une finalité politique : à terme il s’agit de réduire, voire de supprimer la fonction publique d’Etat d’enseignement en faisant disparaà®tre les concours - dont le nombre de postes diminue chaque année- et en s’alignant sur le modèle de plusieurs autres pays de l’UE. Pour la première fois en France existeront dès la prochaine rentrée des titulaires d’un diplôme d’enseignant indépendamment de la réussite d’un concours. Se met ainsi en place un mode de recrutement des enseignants contractuels et précaires parallèle à celui sur concours en vigueur aujourd’hui et créant les conditions de sa disparition. Le rapport adopté le 29 juin 2011 par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la formation des enseignants a confirmé la réalité de ce projet. La longueur des études et la multiplication des exigences pour devenir enseignant fonctionnaire dissuadent les étudiants, et en particulier les plus modestes, de suivre la voie des concours.

 Une finalité idéologique : en perdant leur statut de fonctionnaire et la sécurité de l’emploi, les enseignants risquent de perdre très rapidement leur liberté pédagogique. Recrutés sur profil en fonction des projets d’établissement, eux-mêmes subordonnés aux impératifs des bassins d’emploi et des politiques régionales, les enseignants seront mis à la botte de pouvoirs locaux dont dépendra la reconduction de leur contrat. La volonté de faire disparaà®tre les IUFM est un autre aspect idéologique de la réforme de la formation des enseignants. Le gouvernement veut en finir avec ces instituts o๠s’élabore et se diffuse une pensée critique sur les pratiques d’enseignement, s’appuyant sur les acquis de la recherche et non sur les injonctions ministérielles.

Gageons qu’il n’est pas trop tard pour maintenir une éducation nationale ainsi que la qualité de la formation de ses acteurs, garante de celle de l’enseignement dispensé aux élèves, nos concitoyens de demain, qui font les frais actuellement des mesures gouvernementales.

Geneviève Guilpain (Sud Education), Daniel Djament (SNESup), Didier Frydman (CGT Educ’Action), Nathalie Pfaff (élue SNESup au conseil de l’IUFM), Pierre Sauve (Sud Education), Michel Solonel (élu SNESup au conseil de l’IUFM).

Ce texte est soutenu par l’Intersyndicale de l’I.U.F.M. de l’académie de Créteil, Université Paris-Est Créteil : Sud Education, SNESup, CGT Educ’Action.

Des conseillers pédagogiques et maà®tres formateurs exerçant dans l’académie de Créteil et des étudiants inscrits en 1re et 2e année du master « métiers de l’enseignement du 1er degré » de l’U.P.E.C ont participé à sa rédaction.