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La filière technologique sabordée

Lu dans l’Humanité du 17 février 2011

vendredi 18 février 2011

La filière technologique industrielle (STI), distincte de la voie générale et de la voie professionnelle, est attaquée par le gouvernement. Composée de 12”¯options, dont les plus connues sont électrotechnique, électronique, génie civil et productique, avec un enseignement comportant une dizaine d’heures de travaux pratiques, cette filière est une filière de réussite.

Les élèves qui la suivent, souvent issus de milieux populaires et ayant rencontré des difficultés dans leur scolarité, sont relancés dans leurs études et la plupart d’entre eux obtiennent finalement un diplôme à bac+2 de technicien supérieur (BTS ou DUT). Certains continuent leurs études et accèdent même aux grandes écoles o๠leur cursus est reconnu depuis longtemps.

Le ministère veut remanier de fond en comble cette filière. Fini le fort marquage technologique. Fini les travaux pratiques sur systèmes professionnels, pourtant le principal facteur de réussite des élèves. Fini la diversité des options”‰ : des formations telles que bois, génie des matériaux, optique et d’autres vont tout simplement disparaà®tre. Le souci d’économie d’argent mais aussi de casse de cette filière de promotion sociale est évident.

Les contenus de la nouvelle filière ne permettront plus la réussite des nombreux élèves qui arrivent avec des difficultés. Mais nous sommes également très préoccupés par les conséquences sur l’industrie. Les nouvelles STI ne destineront plus les élèves au BTS. Ce sont désormais les élèves de bac pro qui y accéderont, mais avec un bac professionnel miné par la réforme de 2008, les contenus des enseignements du BTS devront être fortement revus à la baisse. Le diplôme sera dévalorisé, alors qu’il répondait aux besoins d’augmentation des qualifications et de la culture générale.

Les entreprises, en particulier les PME, qui recrutent ces jeunes, à la fois capables d’un travail d’analyse et porteurs d’un minimum de savoir-faire, ne trouveront plus de travailleurs correctement formés. Il existe alors un risque évident de régression industrielle et de délocalisation de ces entreprises à l’étranger ou, pour certains secteurs comme le bà¢timent, de délocalisation « ”¯sur place”¯ », en faisant venir des étrangers qui seront évidemment maintenus dans un statut irrégulier pour mieux détricoter le droit du travail.

Une fois les PME parties, les grandes entreprises qui leur sous-traitent du travail partiront également. Ce sont des centaines de milliers d’emplois et la structure même du monde du travail de notre pays qui sont mis en cause.

Quel gà¢chis alors que nous avons besoin de techniciens supérieurs dans la production mécanique, la transformation du bois, le bà¢timent… et que ce besoin va s’accroà®tre dans les années à venir. Dans le bois ou le bà¢timent, nous ne répondons qu’à la moitié des besoins de l’industrie”‰ !

Je ne peux pas terminer cette tribune sans dire un mot de la manière dont cette réforme est mise en place. Les programmes définitifs, dont les premières versions sont incompréhensibles pour les enseignants, ne sont toujours pas prêts et les savoirs à enseigner sont très différents de ceux actuellement maà®trisés par les professeurs. Leur avenir est très incertain avec les économies de postes ainsi réalisées. Des « ”¯formations”¯ » sont dispensées à certains d’entre eux mais, avec un temps et un contenu très limités, elles ne font que souligner leur incapacité à enseigner ces futurs contenus. Les inspecteurs assignent des objectifs inatteignables et surchargent de travail les enseignants. Certains commencent à craquer. Le travail est déstructuré, les enseignants aussi. Nous pouvons craindre que certains en arrivent à des gestes désespérés. La méthode est claire et réfléchie”‰ : faire partir d’eux-mêmes les collègues.

Heureusement, un peu partout en France, dans les académies, les enseignants commencent à s’organiser. En région parisienne est née l’idée d’états généraux de la formation industrielle pour redonner la parole aux enseignants, faire le point sur les besoins, les contenus et l’enseignement à apporter. Nul doute que les enseignants de STI vont démontrer qu’il faut compter avec eux. Il faudra que les principales organisations syndicales produisent un travail commun pour les y aider.

Cette réforme doit être abandonnée. Elle est néfaste et ne répond en rien aux besoins d’élévation du niveau de formation générale dont nous avons besoin. Toutes les instances consultatives de l’éducation l’ont d’ailleurs largement souligné. Même le Medef a exprimé des désaccords avec les programmes technologiques. Les enseignants ne veulent pourtant pas d’un statu quo et demandent à revisiter les contenus enseignés, en tenant compte de l’avis des professionnels de l’industrie. La politique industrielle de notre pays doit, de son côté, être réellement ambitieuse, afin que les lycéens et les lycéennes s’engagent nombreuses et nombreux dans des STI rénovés répondant aux besoins de formation et aux enjeux industriels et citoyens de notre époque.

Par Dante Bassino, enseignant de STI génie mécanique productique et coresponsable de la CGT éduc’action Paris.

http://humanite.fr/17_02_2011-la-fili%C3%A8re-technologique-sabord%C3%A9e-465430