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On t’a repéré, t’as dix secondes pour dégager…

Article de l’Humanité concernant l’arrestation de Rodolphe Juge

mardi 8 avril 2008

Jeune professeur stagiaire, Rodolphe Juge était venu, jeudi dernier, à la manifestation lycéenne pour encadrer les élèves. C’est lui que les policiers ont embarqué !

« La mobilisation autour de moi me rassure, mais… » Rodolphe Juge ne peut pas cacher une certaine appréhension. À vingt-cinq ans, il sait que son « affaire » peut lui coà »ter cher. Très cher. Parti jeudi dernier à la manifestation lycéenne, ce professeur stagiaire s’est retrouvé, contre toute attente, brutalement interpellé par la police, placé en garde à vue et inculpé pour « violence aggravée » et « insulte ». Ce mauvais scénario révolte son entourage. Et risque de briser sa carrière d’enseignant, si par malheur il était condamné.

Rodolphe Juge n’a rien d’un agitateur de foule, adepte du coup de poing. Syndiqué à la CGT éducation, il partage son temps entre les cours qu’il prend à l’IUFM de Créteil et ceux qu’il donne, en maths-physique, au lycée professionnel Denis-Papin de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Jeudi dernier, après le travail, le jeune homme s’est rendu au défilé parisien. « Pour réclamer plus de postes, plus de moyens, se souvient-il. Mais une fois sur place, j’ai vu que la plupart des enseignants jouaient surtout un rôle d’encadrant auprès des élèves afin d’éviter les dérapages. J’ai naturellement pris ce rôle à mon tour. »

Il déambule entre les groupes de lycéens. Notamment à l’avant du cortège, o๠l’on retrouve la plupart des établissements de la banlieue parisienne, en retrait d’un cordon de CRS qui donne le rythme de la manifestation. « C’est là que la manif était la moins structurée, o๠les slogans étaient les plus radicaux à l’encontre de Sarkozy et la police, raconte-t-il. Il faut dire que les CRS imposaient des arrêts réguliers et créaient ainsi comme une ligne de front avec les lycéens. » La tension va crescendo. Plusieurs interpellations ont lieu dans la foule. Rodolphe Juge et ses collègues appellent au calme, enjoignent les lycéens à ne pas entrer dans le jeu de la provocation.

Le défilé arrive finalement place des Invalides. « Les lycéens étaient calmes, assure le jeune enseignant. Il n’y avait plus aucune tension, lorsque j’ai vu plusieurs policiers en civil, sans brassard, se diriger vers un groupe d’élèves. Je me suis aussitôt rapproché en me disant qu’il fallait qu’un professeur responsable soit là . Mais je me suis rendu compte que ma seule présence les gênait… » Pour le moins. Rodolphe est reçu pour un « casse-toi de là , t’as rien à faire là , laisse-nous faire notre boulot ! » Le jeune homme ne se dégonfle pas. « J’ai le droit d’être là , c’est une manifestation autorisée. » Le ton passe à la menace : « On t’a repéré, t’as dix secondes pour dégager… » Rodolphe ne dégage pas. Des policiers l’encerclent alors par-derrière. Un premier le ceinture, un second le tient par le col. Il ne résiste pas.

Son sac est vidé à terre, on le palpe brutalement. « Tu fais moins le malin ? » lui là¢che un policier. « Vous ne pouvez que contrôler mon identité, répond Rodolphe, car je n’ai rien à me reprocher. » Suffisait de demander… Selon le jeune homme, un des policiers aurait alors regardé l’un de ses collègues, faussement interrogateur : « Tu l’as vu jeter un caillou sur la police, non ? » « Oui », répond l’autre. « C’est là que j’ai commencé à comprendre que cela sentait le roussi… », dit aujourd’hui Rodolphe Juge.

Direction le commissariat du 7e arrondissement. Il est 16 h 20, l’enseignant refuse de signer sa mise en garde à vue pour « violence aggravée » et « insulte ». « L’officier de police judiciaire m’a dit « pas de problème », il a pris ma carte d’identité et a signé à l’endroit o๠je devais le faire ! », assure Rodolphe Juge. Après une nuit en cellule, il sera finalement déféré le lendemain, à 11 heures, au palais de justice de Paris. La procureure refusera de le juger en comparution immédiate et renverra l’affaire au 17 avril.

L’intense mobilisation autour de son cas n’y est sà »rement pas pour rien. Dès qu’ils ont appris son arrestation, l’ensemble de ses collègues sont montés au front, sans hésiter. Mais aussi sa hiérarchie, du proviseur du lycée Denis-Papin jusqu’à certains inspecteurs académiques. « C’est un jeune professeur très sérieux, très consciencieux et très apprécié, témoigne Sylvie Pugnaud, une de ses professeurs d’IUFM. Il est absolument impensable qu’il ait jeté des cailloux et on a aucun doute sur ce qu’il dit. »

Laurent Mouloud

http://www.humanite.fr/2008-04-08_Societe_-On-t-a-repere-t-as-dix-secondes-pour-degager


Signer la pétition de soutien à Rodolphe Juge

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