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Maryse Dumas : « Sarkozy veut instaurer une flexibilité sociale généralisée »

samedi 1er novembre 2008

Entretien de Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGt, avec les internautes sur le site du Monde.fr

http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2008/10/28/maryse-dumas-cgt-sarkozy-veut-une-flexibilite-sociale-generalisee_1112156_1101386.html


Milou : Dénoncez-vous les mesures annoncées, mardi 28 octobre, par Nicolas Sarkozy sur la question de l’emploi : l’accès facilité au CDD, notamment ?


Maryse Dumas :
Oui, nous le dénonçons fortement. Nicolas Sarkozy fait des discours contre le capitalisme dans le monde entier, mais quand il est en France, il poursuit la même logique libérale que celle qui a déjà provoqué la crise en France. Sa volonté de généraliser le CDD au prétexte que le CDD c’est mieux que le chômage, c’est le même raisonnement que celui qui fait que, depuis 20 ans, on essaie de nous démontrer que l’emploi précaire vaudrait mieux que pas d’emploi du tout.

Résultat : il y a en France 6 à 7 millions de salariés pauvres, la précarité étant la principale raison de pauvreté parmi ces salariés. Pour la CGT, il faut au contraire faire du CDI à temps plein la véritable norme d’embauche et pénaliser les entreprises qui recourent aux emplois précaires en lieu et place des emplois stables.

Je pense que le président de la République est à côté de la plaque. Il poursuit les mêmes choix qui ont enfoncé la France dans la crise avant même la faillite de la banque Lehman Brothers le 15 septembre. Ce sont des choix qui poursuivent le système libéral aussi bien dans le domaine financier que dans celui de l’emploi. Il faut une très grande mobilisation des salariés, des demandeurs d’emploi et des retraités pour obliger le gouvernement à créer de nouvelles protections sociales et investir dans la création d’emplois en permettant aux salariés de contrôler et de bénéficier des masses financières dégagées pour les banques.

Gg : Que pensez-vous de la proposition de sécurité sociale professionnelle chère à la CGT que le président semble avoir fait sienne dans les Ardennes ce matin ?

Plus le président de la République reprend le mot inventé par la CGT de "sécurité sociale professionnelle", moins il s’en approprie le sens. Au contraire, c’est à un véritable détournement qu’il procède : il veut en fait une flexibilité sociale généralisée. Pour la CGT, la sécurité sociale professionnelle, c’est la garantie que tous les salariés, sans exception, ont droit à la sécurité de leur contrat de travail, de leur salaire, de leur progression de carrière ou de qualification, de l’accès à la formation, tout au long de leur vie professionnelle, même quand leur emploi est supprimé.

Pour Nicolas Sarkozy, au contraire, il s’agit de déréglementer le droit du travail pour permettre aux employeurs d’embaucher et de licencier qui ils veulent, quand ils veulent, sans assumer leurs responsabilités sociales, voire avec de nouveaux cadeaux financiers assumés par l’Etat. La politique du président de la République, c’est en fait de faire tourner davantage de gens entre chômage et emploi, ce n’est pas de créer une sécurité sociale professionnelle.

Ours : Que pensez-vous des annonces de Nicolas Sarkozy concernant les emplois aidés ?

Il ne s’agit pas d’emplois aidés, mais de contrats de travail aidés. Et ce ne sont pas les contrats de travail qui font l’emploi. Il s’agit d’une mesure qui a déjà été utilisée dans le passé, dont nous savons qu’elle a souvent conduit à développer l’emploi précaire, pour diminuer la statistique du chômage sans réduire le chômage lui-même.

La faille de la politique annoncée par Sarkozy, c’est son silence sur la manière de développer l’offre d’emploi. J’entendais le président des artisans du bà¢timent expliquer, qu’il y a trois mois, il y avait 40 000 offres d’emploi non satisfaites dans son secteur. Il n’y en a plus aujourd’hui que 20 000, il estime qu’il n’y en aura plus du tout à la fin de l’année, et que des licenciements vont se produire dans ce domaine à très court terme.

Mais aucune des mesures annoncées par le président de la République ne répond à cette situation-là . Pour une raison très simple : la croissance en France a toujours été tirée par la demande intérieure. Or à force de comprimer les salaires et le pouvoir d’achat, la consommation fléchit depuis le mois de janvier dernier, les défaillances d’entreprise ont atteint des taux records depuis le mois de juillet, et les statistiques de l’emploi et des salaires au mois d’aoà »t ont été les plus mauvaises depuis 15 ans.

C’est la preuve qu’il faut rompre avec le centre de gravité de la politique économique et sociale dans laquelle nous sommes depuis quelques années, et c’est ce à quoi se refuse le président de la République.

Vriguaard : Sur quels aspects la fusion de l’ANPE et du réseau de l’assurance-chômage prépare-t-elle mieux notre pays à refonder l’économie réelle ?

La CGT est depuis le début opposée à cette fusion. Nous pensons qu’il faut créer un grand service public de l’emploi, de l’orientation et de la formation, à disposition de tous les salariés, qu’ils soient demandeurs d’emploi ou qu’ils soient dans l’emploi, qui leur permette d’anticiper sur leurs évolutions de carrière, sur l’évolution de leur qualification, sur leurs souhaits en matière de formation et de filière professionnelle, sans dépendre du bon vouloir de leur employeur.

La logique du gouvernement par la fusion ANPE-Assedic est au contraire d’obliger les chômeurs à accepter n’importe quel boulot et de s’en servir comme d’un dumping social qui tire vers le bas l’ensemble des rémunérations et des statuts d’emploi. Pourquoi un employeur paierait-il un salarié à son niveau de qualification réelle s’il sait que dix chômeurs vont être obligés d’accepter le même emploi avec une rémunération inférieure ?

J’ajoute que l’objectif du président de la République n’est pas de développer un service public de l’emploi indépendant des employeurs, efficace et juste pour tous les salariés et demandeurs d’emploi, mais au contraire, d’ouvrir le marché de l’emploi à des officines privées qui vont faire des profits sur le placement des chômeurs en se réservant évidemment les chômeurs les plus "employables". Sans résoudre le problème principal du chômage : l’insuffisance de l’offre d’emploi et le chômage de longue durée.


Patrick Crescent : Quelles seraient, selon vous et votre organisation, les orientations à prendre pour combattre la crise ?

Il y a des milliards annoncés pour les banquiers, des milliards annoncés pour les entreprises, sans aucune garantie de ce à quoi ils vont servir. La CGT demande que ces milliards soient utilisés pour le pouvoir d’achat, pour les salaires, pour l’emploi, et que les salariés et leurs représentants aient un droit de contrôle sur l’origine de cet argent, et sur son utilisation.

Fredoff : Sans être démagogue et simpliste, que propose concrètement la CGT et quels seront ses moyens d’action ?

Nous proposons dès aujourd’hui que l’ensemble des organisations syndicales se réunisse pour décider de mobilisations fortes sur tout le territoire national, avec les salariés, les demandeurs d’emploi, les retraités, afin que les travailleurs ne soient pas de nouveau sacrifiés sur l’autel de la crise financière et économique.

Dod : Les syndicats auraient-ils intérêt à se présenter unis aux élections européennes ? La fenêtre n’est-elle pas idéale pour peser sur le débat de société au niveau de l’Europe ?

Nous avons déjà , le 7 octobre, eu une journée syndicale mondiale de mobilisation à l’appel de la Confédération syndicale internationale et de la Confédération européenne des syndicats, qui a donné lieu à des mobilisations dans une centaine de pays dans le monde en même temps. Il y a eu en France de nombreuses manifestations sur tout le territoire, et à Paris avec un rassemblement au Trocadéro.

Actuellement, nous préparons une mobilisation européenne sur le temps de travail pour le 16 décembre, à l’occasion de l’examen de la directive européenne sur le temps de travail. Des mobilisations de caractère professionnel sont aussi en cours de préparation, notamment le 13 novembre pour les cheminots. Et la CGT intervient beaucoup dans la Confédération européenne des syndicats (CES) pour que partout en Europe des syndicats soient à la tête de mobilisations puissantes, pour les salaires et pour l’emploi, contre la précarité et la flexibilité.

Il est vrai aussi que la crise actuelle montre que les dogmes sur lesquels s’est construite l’Europe telle que nous la connaissons doivent être revus. Les syndicats doivent y contribuer, mais ils ne peuvent pas être les seuls. Des responsabilités politiques sont aussi posées.

Yannick : L ’"économie sociale et solidaire" est-elle pour vous une alternative économique acceptable pour votre organisation ?

L’économie sociale et solidaire pourrait être un des aspects de l’alternative, mais dans le cadre actuel, elle fonctionne dans le cadre du système capitaliste, et elle ne peut pas échapper à la totalité des critères marchands qui sont mis en oeuvre. Nous pensons qu’il faudrait progressivement obtenir que la réponse à ce que nous considérons être des droits sociaux fondamentaux puisse échapper aux règles de la concurrence, de la fameuse concurrence prétendument libre et non faussée.

Et nous pensons qu’il faut inventer de nouvelles réponses de service public, en France et en Europe, complémentaires de l’économie sociale et solidaire, avec des critères d’efficacité et de gestion fondés sur la réponse aux besoins, sur le progrès social, sur la cohésion sociale et territoriale, sur le combat contre les inégalités, sur le développement durable. C’est une autre façon d’obtenir que la finance internationale n’impose pas sa loi dans tous les domaines de la vie humaine.

Jeandelalune : Ne faudrait-il pas passer par une refonte du système économique ?

On entend beaucoup parler du capitalisme en ce moment. Certains disent qu’il faut le moraliser. A la CGT, nous savons que le capitalisme est un système d’exploitation du travail et donc nous voulons intervenir d’une part sur cette exploitation, pour qu’elle recule, voire qu’elle disparaisse, et d’autre part pour que les richesses qui sont produites par le travail soient partagées autrement qu’aujourd’hui. Plutôt que de voir les actionnaires s’approprier l’essentiel des richesses produites par le travail et aller spéculer en Bourse, nous proposons au contraire que les richesses produites par le travail soient redistribuées à l’ensemble de la société, de manière juste et solidaire, pour contribuer à son développement économique, au progrès social, au respect de l’environnement et aussi coopérer à réduire la misère et la faim dans le monde.

Il faut mettre un terme aux inégalités sociales qui grandissent aussi bien en France qu’à l’échelle internationale et dans chacun des pays du monde.


Dod : Dans un contexte o๠le pilotage de la crise tel qu’il est vu de la présidence exclut la concertation au profit de mesures d’urgence, comment les syndicats peuvent-ils retrouver une audience auprès du gouvernement et une capacité de relai des salariés ?

D’abord, je pense qu’il ne faut pas oublier d’o๠vient la crise financière. Depuis plus de 20 ans, les politiques libérales ont massivement réduit la rémunération du travail pour dégager des masses financières énormes qui sont allées à la spéculation. En même temps, l’endettement des ménages a été développé pour qu’il n’y ait pas de conséquences négatives sur la consommation malgré l’affaiblissement de la rémunération du travail. Et c’est ce double processus qui est à l’origine de la crise financière mondiale que nous connaissons aujourd’hui.

Le rôle des syndicats est aujourd’hui, par les mobilisations, d’obtenir un processus inverse : il faut reprendre au capital ce qu’il a pris au travail et permettre que l’augmentation des salaires, la sécurité de l’emploi, une protection sociale de haut niveau deviennent les critères de développement de la société. Pour cela, il faut que les syndicats aient du poids, et cela dépend des salariés eux-mêmes. Je l’ai dit, la CGT propose à tous les syndicats de se réunir pour envisager ensemble des mobilisations, mais beaucoup dépend des salariés. Des mobilisations ont déjà lieu dans les entreprises, dans les territoires, c’est le moment de s’y mettre tous. Il faut se faire entendre, il faut que la voix des travailleurs soit plus forte que celle des spéculateurs.

Il se trouve que nous préparons des élections pour les conseils de prud’hommes. Le résultat de ces élections sera connu le 3 décembre, tous les salariés du privé sont appelés à voter, soit dans un bureau de vote, soit, s’ils préfèrent, par correspondance, dès le 15 novembre. C’est une occasion facile, gratuite, à la portée de tous d’adresser un message clair au gouvernement et au patronat en utilisant le bulletin de vote CGT.

En même temps, la campagne électorale est l’occasion pour la CGT de rencontrer des milliers de salariés dans les petites entreprises, des salariés précaires, des cadres, tous ceux et celles qui sont faiblement, voire pas du tout syndiqués. Et à tous ceux-là , nous disons qu’ils ont la possibilité d’intervenir sur le cours des choses. Quand il y a un syndicat organisé sur un lieu de travail, l’employeur est obligé de le respecter. C’est aussi un moyen de peser sur des choix économiques et sociaux plus nationaux. Et cela mérite que chacun réfléchisse, dans son propre intérêt, à la création d’un syndicat CGT dans son entreprise.

Chaque salarié oscille entre l’indignation et un sentiment d’impuissance. Et la syndicalisation, l’action syndicale, c’est le moyen d’exprimer son indignation en faisant reculer l’impuissance. Si les salariés se syndiquent et participent à des actions collectives fortement, les employeurs, les pouvoirs publics, le gouvernement seront obligés de tenir compte de leurs exigences.


Roland : Nicolas Sarkozy a mis les syndicats devant une obligation d’aboutir, faute de quoi il prendra lui-même la décision. Que pensez-vous de cette forme de "dialogue social" ?

C’est tout sauf du dialogue social. Le président de la République veut tout régenter, même les syndicats, et même la négociation collective. Pour lui, le dialogue social n’a de sens que s’il correspond à ce qu’il a préalablement décidé, avec le résultat qu’il a décidé et le calendrier qu’il a décidé. Il dit aux syndicats : si vous signez un accord qui me convient, je le reprends dans la loi ; si l’accord ne me convient pas, je fais une autre loi.

Dans ce contexte, il est plus que jamais décisif que les salariés s’en mêlent. Et la CGT a signé l’accord qui fait évoluer les règles de représentativité syndicale justement pour que le vote des salariés, dans les élections professionnelles, détermine à la fois quels sont les syndicats habilités à les représenter dans la négociation et en même temps, quels sont les syndicats dont la signature peut rendre valides les accords signés dans les négociations collectives.

Mais il faut aussi obtenir que le droit du travail et le droit syndical soient respectés dans les entreprises, au moment même o๠le président de la République veut totalement déréglementer le code du travail, le droit du travail et le temps de travail.